Le 10 septembre 2025, Thouars s’est réveillée. Cinq cents personnes dans les rues et sur les ronds-points : pour une ville comme la nôtre, c’est énorme. Cinq cents voix, cinq cents corps qui disent « stop », qui bloquent, qui refusent. Refus de voir nos droits sociaux arrachés, refus d’assister passivement à la casse des services publics, refus de se taire face aux lois liberticides qui, année après année, grignotent nos libertés. Oui, le 10 septembre a montré que le peuple thouarsais existe, qu’il n’est pas résigné, qu’il n’attend plus l’ordre venu d’en haut mais qu’il s’organise par en bas, avec ses syndicats, ses collectifs, ses associations et ses habitants. Cette journée n’est pas un épisode isolé, elle est le prolongement des mobilisations de 2023 contre la réforme des retraites, elle est la continuité des colères contre la loi Sécurité globale, contre les lois immigration, contre la machine infernale du néolibéralisme. Elle est surtout un signal : ici aussi, l’unité populaire est en train de se construire.
Et pourtant, alors que la rue parlait, que les habitants du territoire montraient leur dignité, le silence était total du côté de la majorité municipale. Ni Bernard Paineau, ni ses adjoints, ni les personnalités qui aiment tant se parer d’une étiquette « de gauche » à chaque échéance électorale, n’ont eu le moindre mot. Rien. Pas même une phrase tiède pour « comprendre la colère » ou « saluer la mobilisation citoyenne ». Ce silence n’est pas de la neutralité, c’est un choix politique. Car quand on ne dit rien, on se range toujours du côté de ceux qui gouvernent et qui cassent les conquêtes sociales. Ce mutisme répété, déjà observé en 2023 lors des mobilisations contre la réforme des retraites, déjà observé lors des attaques contre nos libertés avec la loi Sécurité globale, déjà observé face aux lois immigration, révèle une vérité (brutale) : on ne peut pas se dire de gauche et se taire. On ne peut pas se réclamer du camp du progrès et détourner le regard sur des enjeux politiques globaux. Être de gauche, ce n’est pas gérer un budget local comme un bon comptable, ce n’est pas rédiger des plaquettes, ce n’est pas se cacher derrière des mots creux. Être de gauche, c’est choisir son camp, c’est se tenir aux côtés de ceux qui luttent.
Ce contraste est d’autant plus frappant qu’au dernier conseil communautaire, l’ancien maire Patrice Pineau a rappelé ce que signifie faire de la politique. En qualifiant le projet de territoire de Bernard Paineau de « programme électoral qui ne dit pas son nom », il a eu le courage de dire ce que beaucoup pensent. Car ce projet n’a rien d’un projet. C’est un catalogue d’actions sans ligne directrice, une feuille de route sans vision, une compilation technocratique qui ne répond pas aux urgences sociales, écologiques et démocratiques. Autrement dit, c’est un document qui ne sert qu’à meubler l’attente d’une réélection. Patrice Pineau, avec sa constance et son franc-parler, a mis les mots là où d’autres préfèrent l’esquive. Et sa réplique est d’autant plus précieuse que face à lui, les lieutenants de Bernard Paineau, Emmanuel Charré en tête, n’ont rien trouvé de mieux que de l’accuser de « radicalisation ». Ridicule. Qu’y a-t-il de radical dans le fait de dire la vérité ? Qu’y a-t-il de radical à rappeler qu’un projet de territoire doit être pensé avec et pour les habitants ? Qu’y a-t-il de radical à soutenir les luttes sociales ? Rien. Ce n’est pas de la radicalité, c’est de la fidélité à la cause sociale. C’est simplement l’attitude d’un homme qui n’a pas oublié que la gauche ne se résume pas à un logo, mais qu’elle correspond à des valeurs et à des engagements clairs.
Et c’est là que le masque tombe. Car quand on en est réduit à brandir l’épouvantail de la « radicalisation » ou de « l’ultragauche », c’est qu’on n’a plus rien à répondre. On connaît la chanson : la classe politique et médiatique bourgeoise recycle sans fin cette rhétorique. Autrefois, pour être de l’ultra gauche, il fallait courir vite, savoir se battre, vivre dans la clandestinité, lancer des pavés, appeler à Bakounine ou à la bande à Bonnot. Ce n’était pas donné à tout le monde. C’était une affaire de militants aguerris, une vie risquée, une rupture totale avec la société. Aujourd’hui, il suffit de demander la retraite à 60 ans. Aujourd’hui, il suffit de rappeler que Total ne paie pas ses impôts. Aujourd’hui, il suffit de réclamer un SMIC qui permette de vivre ou de brandir un drapeau palestinien pour être collé dans la case « ultragauche ». Avec cette rhétorique même la CFDT finira par être traitée d’organisation subversive, tant la droitisation générale a déplacé le curseur. Mélenchon, qui serait passé pour un social-démocrate il y a quarante ans, est caricaturé en Pol Pot. La CGT et Solidaire sont assimilées à des groupuscules violents. Et demain, pourquoi pas, un syndicat de locataires sera accusé de complot anarcho-communiste parce qu’il réclame la réparation d’un ascenseur en panne.
C’est grotesque, mais c’est une arme. Une arme destinée à disqualifier toute contestation, à réduire au silence quiconque ne se soumet pas au statu quo. Le projet du pouvoir – qu’il soit national ou local – n’est pas d’innover, de transformer, d’émanciper. Non. Son projet, c’est d’accommoder le présent, de maintenir la grande machine néolibérale en état de marche, de gérer la pénurie en demandant toujours plus de sacrifices à la population. Dans ce cadre, le « projet de territoire » de la majorité actuelle révèle un accommodement avec le système néolibéral. Pas de ligne politique, pas de vision, juste l’acceptation tranquille de ce qui est, la continuité grise du statu quo. À l’heure où les services publics s’effondrent, où les inégalités explosent, où la démocratie est abîmée, ce renoncement n’est pas de la prudence, c’est de la complicité. Et ce n’est pas un hasard si la même équipe municipale se félicite d’avoir reçu Emmanuel Macron à Thouars en grande pompe, participant ainsi à sa communication politique. Se réjouir d’accueillir le président de la casse sociale et écologique, tout en se taisant sur les mobilisations populaires, voilà bien le signe d’une gauche de façade qui s’accommode totalement du statu quo néolibéral.
Heureusement, le 10 septembre à Thouars a montré qu’il existe une autre voie. Celle de citoyennes et citoyens qui se lèvent, qui se rassemblent, qui refusent les caricatures et qui n’attendent plus rien des gestionnaires du statu quo. La force populaire ne s’arrêtera pas à un jour de mobilisation. Elle continue de s’organiser, d’échanger, de créer. Alors, que les imbéciles bas du front, les puissants et leurs relais médiatiques nous traitent d’ultra gauche si ça leur chante. Car si vouloir la justice sociale et la justice climatique, si défendre une démocratie directe, les retraites, les salaires, les libertés et les services publics, c’est être extrême, alors c’est bien eux qui sont devenus docile dans leur soumission au capitalisme.