Vous l’avez peut-être déjà vu arboré sur des vestes lors de manifestations ou interventions médiatiques durant ces dernières décennies. Un petit triangle équilatéral rouge vif qui attise quelquefois la curiosité d’interlocuteurs non familiarisés à ce symbole, mal connu du grand public. En effet, ce symbole parfois discret dans l’Histoire des courants socialistes, communistes et antifascistes est surtout connu des historiens comme étant un symbole distinctif utilisé par les nazis dans les camps de concentration entre 1939 et 1944. Pourtant, ce symbole trouve sa genèse dans le milieu ouvrier parisien de la fin du XIXe siècle comme étant un outil descriptif de ralliement aux propositions syndicales de l’Internationale socialiste concernant la répartition du temps de travail des ouvriers. Cette symbolique trouvera également un écho particulier auprès d’artistes soviétiques comme un moyen de propagande efficace durant la guerre civile russe contre les blancs. L’utilisation de ce symbole dans les camps de concentration pour désigner l’emprisonnement des détenus à caractère politique retiendra l’attention des historiens spécialistes de cette période, car c’est le moment où le triangle rouge fait le plus parler de lui dans les sources. Durant l’après-guerre, l’utilisation du triangle rouge dans les syndicats et partis de gauche est abandonnée au profit d’autres symboles qui caractérisent chacune des organisations politiques. Les communistes se focalisent sur la faucille, le marteau et l’étoile rouge et les socialistes sur le poing et la rose comme emblème du parti socialiste en France après le congrès d’Epinay de 1971. Ce n’est que progressivement, avec la recrudescence des mouvements d’extrême-droite, que le triangle rouge retrouve un usage dans les mouvements antifascistes, syndicats et partis politiques de la gauche européenne. L’exemple le plus frappant reste celui de la France avec l’utilisation de ce triangle en 2012 lors de la campagne présidentielle par Jean-Luc Mélenchon. Le candidat du Front de Gauche, alors cible d’une caricature satirique le plaçant sur le même plan que la candidate du Front National, décide de dépoussiérer le triangle rouge. Il revendique alors l’utilisation du triangle rouge comme un signe distinctif majeur entre la gauche radicale et l’extrême-droite, invoquant son histoire, faisant de ce triangle un outil symbolique de revendications sociales et de lutte contre l’extrême-droite. Ce symbole, initialement utilisé pour une revendication ouvrière bien précise et utilisé comme élément distinctif dans le cadre d’une répression et extermination massive des prisonniers politiques par les nazis, devient donc progressivement le marqueur d’une nouvelle identité politique de la gauche radicale européenne. L’ensemble de ces éléments nous poussent donc à nous demander : comment la symbolique du triangle rouge reflète-t-elle l’héritage des luttes sociales et antifascistes depuis sa création ?
Pour répondre à cette problématique, nous avons décidé d’axer nos recherches de manière chronologique. Nous observerons d’abord les origines du triangle rouge et sa symbolique dans le monde syndical et politique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, ensuite nous poursuivrons notre étude sur le symbole de résistance face à l’oppression politique au XXe siècle, enfin, nous verrons les dimensions revendicatives contemporaines du triangle rouge dans les mouvements et partis de gauche radicale européens.
Les origines du triangle rouge et sa symbolique dans le mouvement ouvrier
Le triangle rouge dans les luttes ouvrières du XIXe siècle : symbole de solidarité et d’émancipation des travailleurs
Le triangle rouge trouve sa genèse dans les luttes ouvrières de la fin du XIXe siècle, notamment dans le mouvement socialiste et syndical parisien. Ce symbole, né dans un contexte de mobilisation intense, devient d’abord un outil de reconnaissance pour les manifestants du 1er mai. Selon l’historien Michel Rodriguez dans sa Monographie du 1er mai (1990), il apparaît dès le 1er mai 1890 à Paris, journée emblématique des revendications pour la réduction du temps de travail. Le triangle rouge permet aux travailleurs de se distinguer et d’affirmer leur appartenance à un groupe en lutte pour un changement radical pour l’époque : la journée de huit heures. Ce triangle de tissu, avec ses trois côtés égaux, symbolise la répartition des 24 heures en trois segments de 8 heures : travail, sommeil et loisirs. Cette revendication se reflète dans l’inscription « 1er Mai, 8 heures de travail », cousue sur certains vêtements de manifestants. Par ce signe, les ouvriers visent à attirer l’attention sur leur cause, créant un sentiment d’appartenance commune et unifiant les travailleurs sous une même bannière. La savonnerie des travailleurs de Paris, située rue Montmartre et détenue par des ouvriers socialistes, adopte également le triangle rouge. Elle fabrique des savons portant ce symbole sur un placard publicitaire, avec sur chaque côté les inscriptions « huit heures de travail », « huit heures de loisirs » et « huit heures de sommeil ». Un document de 1895 témoigne de cette symbolique, où le triangle rouge figure sur l’en-tête d’une lettre de la savonnerie, illustrant l’intégration du symbole dans la culture matérielle ouvrière. La Savonnerie des Trois Huit, comme elle se nomme, destine tous ses bénéfices à la propagande socialiste. Elle lance même un appel : « Camarades, achetez le savon des Trois Huit ! », vendu en soutien aux idées socialistes. Le savon « Chambard », à 20 centimes, arbore quant à lui un bûcheron abattant l’arbre du capitalisme, renforçant ainsi le message de lutte. La propagande se fait ici quotidienne, portant la cause ouvrière jusque dans les foyers. Le message de la savonnerie est explicite : « Par le savon socialiste, combattons tous et sans retard le bourgeois, le capitaliste : gare aux Trois Huit ! ». Cette rhétorique montre l’engagement des travailleurs et l’importance du triangle rouge comme outil de solidarité et d’éducation politique. En dehors de Paris, l’impact du triangle rouge reste limité, probablement restreint aux quartiers ouvriers comme Montmartre, foyer d’activités militantes. Ce quartier, haut lieu du prolétariat, est un point de diffusion des symboles révolutionnaires suite à la Commune de Paris de 1871, bien que leur visibilité reste prudente face aux risques de répression. L’usage du triangle rouge, discret mais puissant, devient un emblème d’affirmation identitaire dans un contexte où toute exposition politique visible est risquée. Cette tension entre visibilité et discrétion confère au triangle une importance symbolique forte, porteur des aspirations à la dignité et à une vie meilleure. Ainsi, le triangle rouge du XIXe siècle est bien plus qu’un insigne de revendication ; il symbolise l’émancipation ouvrière et la solidarité. Ancré dans les luttes, il inspire un sentiment d’appartenance collective et préfigure l’usage du triangle comme emblème persistant de résistance sociale et de revendication pour les générations futures.
Le triangle rouge comme emblème internationaliste : des revendications sociales au soutien à la révolution communiste
Initialement symbole des revendications ouvrières en occident, le triangle rouge devient un emblème de l’internationalisme révolutionnaire lors de la Révolution russe de 1917 et de la guerre civile (1918-1922). Utilisé par les bolcheviques, ce symbole acquiert une dimension internationale en représentant la lutte du prolétariat contre l’oppression capitaliste et impérialiste. L’affiche d’El Lissitzky de 1919, Battre les Blancs avec le coin rouge, en est une des illustrations les plus célèbres. Conçue au plus fort de la guerre civile, cette affiche incarne la confrontation entre les forces rouges (bolcheviques) et blanches (contre-révolutionnaires). Dans la composition, un triangle rouge aigu pénètre un cercle blanc, métaphore visuelle de la percée des forces révolutionnaires dans le bastion des conservateurs. La simplicité des formes et l’utilisation de couleurs contrastées créent une dynamique qui capte l’attention et inspire à l’action. Ce visuel, accompagné du slogan « Avec un coin rouge, tue les blancs », exprime l’élan révolutionnaire et la volonté bolchevique d’éliminer les forces réactionnaires pour instaurer un nouvel ordre socialiste. Cette stratégie visuelle puissante et agressive est pensée pour mobiliser les masses et légitimer l’idéologie communiste en donnant au triangle rouge une signification politique marquée. L’affiche de Lissitzky s’inscrit dans le mouvement constructiviste, où art et propagande se rejoignent pour soutenir la révolution. L’année 1919, marquée par la fondation de la Troisième Internationale (Komintern), voit les bolcheviques diffuser leur idéologie à l’échelle mondiale, appelant les travailleurs du monde entier à rejoindre la lutte contre le capitalisme. Dans ce contexte, le triangle rouge devient plus qu’un symbole national ; il incarne une solidarité prolétarienne transnationale et une volonté commune de renverser l’ordre établi. Ce symbole simplifié et percutant, accessible à tous, renforce l’idée d’unité internationale et de résistance contre les oppresseurs. Comme le souligne l’historienne Taline Ter Minassian, les affiches soviétiques de cette période possèdent une « charge politique » et une « force mobilisatrice » exceptionnelles. La composition géométrique de Lissitzky, par sa simplicité et sa puissance, met en avant la lutte du prolétariat pour construire une société nouvelle. En associant esthétique et message politique, l’art constructiviste devient ici un instrument de mobilisation idéologique visant un large public. La stratégie visuelle, épurée et directe, permet de diffuser l’idéal communiste de manière percutante, rendant le triangle rouge inspirant pour les masses. En intégrant le triangle comme l’étoile rouge rouge dans une démarche internationaliste, les bolcheviques offrent une vision de solidarité universelle pour les travailleurs de tous les pays. Le symbole transcende donc les frontières culturelles et géographiques, devenant un marqueur de résistance et de lutte sociale. Ainsi, le triangle rouge dépasse ses origines pour devenir un emblème internationaliste, incarnant le soutien à la révolution communiste. Sa simplicité graphique et son intégration dans les affiches de propagande bolchevique en font un outil redoutable pour mobiliser les masses.
Le triangle rouge, symbole de répression puis de résistance au XXe siècle
La persécution sous le nazisme et l’utilisation du triangle rouge
Avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, la persécution des opposants politiques devient systématique et brutale. Afin d’identifier et de stigmatiser ces individus, les nazis mettent en place un système de marquage, de badges par triangles colorés dans les camps de concentration, créés pour réprimer ceux qui s’opposaient à leur idéologie. Dès l’ouverture du camp de Dachau en 1933, les détenus politiques – communistes, socialistes, syndicalistes et autres opposants – sont marqués d’un triangle rouge. Ce symbole visuel, cousu sur leurs uniformes, indique leur statut d’ennemis de l’État, leur nationalité (par la présence d’une lettre, F pour les prisonniers français) et les rend immédiatement reconnaissables pour les gardiens et les autres détenus. Ce marquage, au-delà de sa fonction d’identification, reflète l’idéologie nazie qui cherche à déshumaniser et à marginaliser les opposants politiques. Le triangle rouge, choisi pour sa couleur symbolique associée aux mouvements socialistes et communistes, représente aux yeux des nazis l’incarnation de la « menace bolchevique ». Il s’agit d’une tentative de réduire ces individus à une identité infamante, de les isoler et de les traiter avec une violence accrue, considérant leur engagement comme une menace directe pour le régime. Dans les camps, ce marquage entraîne une série de mesures discriminatoires spécifiques. Les détenus marqués du triangle rouge sont souvent affectés aux tâches les plus pénibles et les plus dangereuses, subissant un régime de brutalité extrême. Cette politique vise non seulement à exploiter ces prisonniers physiquement, mais aussi à briser leur volonté et à les dégrader moralement. En les ciblant, par des abus répétés et des travaux forcés, les nazis espèrent anéantir toute résistance intérieure chez ces détenus politiques. L’assignation du triangle rouge s’inscrit également dans une logique de terreur qui vise à inspirer la peur dans l’ensemble de la population. En marquant ainsi les opposants, le régime envoie un message clair : toute opposition, quelle qu’elle soit, sera réprimée. Ce système de marquage permet aux autorités de discriminer facilement les prisonniers politiques, qui deviennent des symboles vivants de la résistance écrasée par le régime. Entre 1939 et 1945, des centaines de milliers de détenus politiques européens portent ce triangle rouge dans les camps, incarnant l’hostilité du régime envers toute dissidence. Pour les détenus eux-mêmes, le triangle rouge, malgré son intention de les humilier, devient aussi un symbole de leur engagement et de leur identité. Bien que destiné à être une marque infamante, il rappelle à chaque détenu la cause pour laquelle il a été persécuté. En partageant cette marque, les prisonniers politiques développent parfois un esprit de solidarité, trouvant dans ce symbole une forme de reconnaissance mutuelle de leur lutte commune contre l’oppression.
Le triangle rouge après la guerre : un symbole de résistance antifasciste
Après la Seconde Guerre mondiale, le triangle rouge devient un puissant symbole de mémoire et de résistance antifasciste en Europe. Pour les survivants des camps de concentration et les familles des victimes, ce symbole rappelle les souffrances endurées par les prisonniers politiques, mais surtout leur engagement dans la lutte contre le fascisme. Rapidement, il est adopté par les associations de déportés comme un emblème de résilience, témoignant de la détermination des résistants à faire face aux régimes totalitaires. Dans les années qui suivent la libération, ces associations comme le Comité International de Dachau fondé en 1958, utilisent le triangle rouge lors des commémorations et pèlerinages pour honorer les déportés politiques assassinés par les nazis. Ces cérémonies, souvent organisées sur les lieux des anciens camps, comme Buchenwald ou Dachau, prennent une dimension particulière en intégrant ce symbole. Arborer le triangle rouge lors de ces rassemblements devient un acte de mémoire et de respect pour les anciens déportés politiques. Il incarne également une volonté de transmettre l’histoire et de rappeler les idéaux de ceux qui ont combattu pour la liberté et la justice sociale. Dans un contexte de Guerre froide où le monde est marqué par l’opposition entre les idéologies capitalistes et communistes, le triangle rouge devient un symbole d’unité pour les mouvements antifascistes européens. Ce symbole, bien qu’étroitement lié aux luttes socialistes et communistes, transcende les frontières idéologiques pour fédérer les opposants aux nouvelles formes de fascisme et de totalitarisme. Dans les années 1960 et 1970, avec la montée des extrêmes politiques en Europe, le triangle rouge est de plus en plus utilisé dans les manifestations de gauche pour rappeler l’histoire des persécutions politiques sous le nazisme et pour revendiquer une société plus égalitaire et solidaire. Le triangle rouge devient ainsi un marqueur visuel dans les mouvements de la gauche radicale et antifasciste. En France, en Belgique, en Italie, en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe, des organisations militantes et des collectifs intègrent le triangle dans leur iconographie pour rappeler l’héritage de la résistance contre l’oppression. Ce symbole permet de faire le lien entre les combats du passé et ceux du présent, affirmant la continuité de la lutte antifasciste dans un monde encore marqué par des tensions politiques et sociales. En affichant ce symbole, les militants cherchent à perpétuer les valeurs de résistance, de solidarité et d’engagement transmises par les générations qui ont affronté les persécutions nazies. Pour les mouvements antifascistes contemporains, le triangle rouge est un rappel constant des dangers de l’autoritarisme et des violences politiques. Il témoigne de l’importance de la vigilance face aux menaces d’extrême droite qui persistent en Europe, et sert d’avertissement contre les dérives autoritaires. Des lieux et des associations de mémoire voient le jour, reprenant le symbole du triangle rouge comme l’association belge Territoires de la mémoire. Cette association, créée en 1993 par d’anciens prisonniers politiques rescapés des camps nazis, est une réponse au retour en force de l’extrême droite en Belgique. Ce lieu devient un espace de transmission de la mémoire, où le symbole est expliqué à la population et aux jeunes générations, consolidant ainsi le triangle rouge comme un outil éducatif et un vecteur de mémoire. Le triangle rouge, autrefois utilisé pour marquer l’infamie et la stigmatisation, a été transformé progressivement après la guerre en un symbole de mémoire des luttes pour les valeurs démocratiques.
Le triangle rouge et les revendications contemporaines des mouvements de gauche
Le triangle rouge dans les mouvements et partis de la gauche radicale : résurgence de la lutte des classes et de la solidarité
Depuis les années 2010, le triangle rouge connaît une résurgence marquée au sein des mouvements de la gauche radicale en Europe, notamment dans les courants radicaux. Cette résurgence s’inscrit dans un contexte de montée des mouvements d’extrême-droite et de crise économique, qui accentuent les tensions sociales et mettent en lumière les inégalités croissantes entre les classes. En France, le symbole est réactivé de manière significative par Olivier Besancenot puis lors de la campagne présidentielle de 2012, sous l’impulsion de Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche (coalition rassemblant le Parti Communiste Français, le Parti de Gauche, Ensemble! et d’autres formations issues de la gauche radicale). Pour Jean-Luc Mélenchon, l’utilisation du triangle rouge dans sa campagne représente une manière de se démarquer de ses adversaires et de revendiquer un héritage de lutte sociale et antifasciste. En affichant ce symbole, il cherche à rappeler l’histoire de ceux qui se sont battus pour les droits des travailleurs et contre le fascisme. Face à la candidate du Front National Marine Le Pen, souvent positionnée comme son opposée idéologique dans les caricatures médiatiques, Mélenchon choisit d’opposer la symbolique de l’antifascisme à l’idéologie nationaliste. Ce dépoussiérage du triangle rouge souligne la volonté de réintroduire un signe de ralliement pour les classes populaires et de raviver l’esprit de résistance face aux dérives autoritaires et xénophobes. Dans le discours de la gauche radicale et altermondialiste, le triangle rouge devient plus qu’un symbole de commémoration historique. Il incarne un outil de mobilisation, un rappel visuel de la lutte contre les oppressions capitalistes et les inégalités sociales. Les mouvements altermondialistes, qui prônent une solidarité internationale et une répartition équitable des richesses, voient dans le triangle rouge un moyen d’unifier leurs revendications sous un symbole fort, chargé d’histoire. Le triangle rouge, autrefois associé aux prisonniers politiques sous le régime nazi, est ainsi réapproprié pour dénoncer les nouvelles formes de domination économique et sociale, symbolisant la résistance contre un système perçu comme opprimant les plus démunis. Au-delà des campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon en 2012, 2017 et 2022, ce symbole est repris dans de nombreuses mobilisations de la gauche radicale en France et en Europe. Les courants et partis altermondialistes tels qu’Ensemble, le Parti de Gauche, la France Insoumise et des organisations comme les Alternatifs adoptent le triangle rouge dans leurs manifestations et événements publics, cherchant à créer une continuité visuelle et idéologique entre les luttes du passé et celles d’aujourd’hui. En arborant le triangle rouge, ces mouvements souhaitent rappeler que les inégalités sociales et les combats pour les droits des travailleurs restent d’actualité et nécessitent un engagement collectif. Ce symbole offre également un ancrage historique, permettant aux jeunes générations de s’identifier à une tradition de lutte contre les oppressions et de s’inscrire dans une histoire politique. Le triangle rouge trouve également un écho dans les mouvements européens de la gauche radicale, où il est utilisé pour affirmer une opposition commune à l’austérité, au néolibéralisme et aux politiques perçues comme favorisant les élites au détriment des classes populaires.
Le triangle rouge, nouvel artefact politique pour la gauche européenne du XXIe siècle
Le triangle rouge connaît donc un renouveau sans précédent au sein des mouvements de la gauche radicale européenne du XXIe siècle, où il est réapproprié comme symbole de résistance face à la montée de l’extrême-droite et des inégalités sociales. Des leaders influents, comme Jean-Luc Mélenchon en France, Pablo Iglesias en Espagne et Raoul Hedebouw en Belgique, ont contribué à la popularisation de ce symbole en le portant sous la forme d’un pin’s lors de rassemblements publics et en l’intégrant dans leur discours politique. Pour ces figures de la gauche, le triangle rouge incarne à la fois une mémoire historique de la lutte antifasciste et un engagement contemporain en faveur de la justice sociale. Ce symbole, initialement utilisé pour stigmatiser les opposants politiques sous le nazisme, est désormais vendu par des organisations telle que l’association belge Territoires de la Mémoire, qui le propose aux militants et sympathisants de la gauche radicale. Arboré fièrement lors de manifestations et de rassemblements, le triangle rouge est aujourd’hui porté par des milliers de personnes qui souhaitent afficher leur opposition aux idéologies d’extrême-droite et leur engagement pour les droits des minorités. Ce phénomène marque l’inscription du triangle rouge dans l’espace public comme un nouvel artefact politique fédérateur, témoignant de l’importance de la mémoire historique dans les luttes contemporaines. Le triangle rouge est ainsi devenu un objet de revendication visuelle et un marqueur d’identité pour la gauche radicale contemporaine. En choisissant d’adopter ce symbole, les militants s’inscrivent dans un héritage de lutte contre les oppressions, rappelant les sacrifices des résistants du passé tout en revendiquant leur propre combat contre les discriminations actuelles. Cet usage symbolique permet de lier les combats de la Seconde Guerre mondiale à ceux du XXIe siècle, faisant du triangle rouge un pont entre les générations de militants et un rappel des valeurs de solidarité et d’égalité. L’extension de l’utilisation du triangle rouge à l’ensemble des mouvements de la gauche radicale en Europe renforce sa portée. Ce symbole est désormais largement diffusé, visible dans des manifestations en France, en Belgique, en Espagne et dans d’autres pays européens. Il se retrouve sur des banderoles, des drapeaux, des badges et même sur des vêtements, participant ainsi à une affirmation collective de l’identité de la gauche radicale. Dans un contexte de crise économique et sociale, et face aux discours de plus en plus marqués par la xénophobie et l’exclusion, le triangle rouge rappelle l’importance de la lutte pour l’égalité des droits et le respect des minorités. Au-delà de son rôle de symbole mémoriel, le triangle rouge s’affirme comme un élément d’unité pour les différentes factions de la gauche européenne. Sa popularité croissante en fait un artefact politique contemporain, ancré dans l’histoire et réinvesti pour des causes actuelles. En s’appropriant le triangle rouge, les militants de la gauche radicale revendiquent un positionnement politique clair : ils s’opposent aux idéologies d’exclusion et s’engagent en faveur d’une société plus juste et inclusive. Le triangle rouge devient ainsi un emblème de résistance et un appel à la solidarité entre les peuples et les classes populaires.
Durant un siècle et demi, le triangle rouge a traversé de multiples mutations, incarnant un symbole politique à significations variées et évolutives. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, il s’affirme comme un signe de revendication au sein des syndicats et mouvements ouvriers, notamment à Paris, où il sert de bannière pour la journée de travail de huit heures. Ce symbole, qui exprime d’abord la lutte pour les droits des travailleurs, traverse les frontières pour trouver un écho dans le monde soviétique, devenant un outil de propagande au sein des affiches bolcheviques durant la guerre civile russe. Pendant le XXe siècle, le triangle rouge prend un sens tragique dans les camps de concentration nazis, marquant les opposants politiques, souvent socialistes et communistes, de manière infamante. L’après-guerre le charge d’une double fonction : commémorative et antifasciste, en hommage aux victimes du nazisme. Cependant, ce n’est que très récemment dans l’Histoire que le triangle rouge se voit investi dans une symbolique ancrée dans un héritage politique antifasciste et social. Il reprend ainsi vie dans les mouvements de la gauche radicale européenne du XXIe siècle, réincarnant les valeurs de solidarité et d’opposition aux dérives autoritaires. Jean-Luc Mélenchon (LFI) en France, Pablo Iglesias en Espagne avec Podemos, le Bloco de Esquerda au Portugal, Die Linke en Allemagne et le Parti du Travail de Belgique figurent parmi les acteurs contemporains qui utilisent ce symbole, désormais repris par leurs militants et sympathisants, notamment à travers les réseaux sociaux ou en arborant le pin’s sur les vêtements. Le triangle rouge devient alors le marqueur d’une nouvelle culture politique de gauche, associée au courant radical, que certains politologues et sociologues qualifient de populisme de gauche. Ce renouveau de sa symbolique questionne la capacité de la gauche européenne à forger des identités partagées et à raviver la mémoire collective des luttes, nous laissant entrevoir un avenir où le triangle rouge pourrait s’imposer comme l’un des emblèmes majeurs de la résistance sociale et antifasciste dans l’Europe du XXIe siècle.
Bibliographie
Ouvrages
- CERVERA-MARZAL, M. Le populisme de gauche Sociologie de la France insoumise. 2021.
- MICHEL RODRIGUEZ. Le 1er mai. Gallimard, 1990.
- QUÉTEL, C. La Seconde Guerre mondiale. Perrin, 2018.
- WIEVIORKA, O. « Une mémoire apaisée ? De Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy. » La Mémoire désunie, Le Seuil, 2014.
Articles scientifiques
- BIARD, B. « La lutte contre l’extrême droite en Belgique II. Cordon sanitaire médiatique, société civile et services de renseignement. » Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 2524-2525, no. 39, 2021, pp. 5-78.
- KREISSLER, FÉLIX. « De camp en camp, retour en Autriche. » Austriaca : Cahiers universitaires d’information sur l’Autriche, no. 56, 2003, pp. 13-26.
- LANGBEIN, H. Traduit par Meunier, D. « La place des groupes en situation particulière dans la résistance contre les S.S. dans les camps de concentration nationaux-socialistes. » Le Monde Juif, no. 103(3), 1981, pp. 77-95.
- MORAND, BERNADETTE. « Prisonnières politiques. » Les Cahiers du GRIF, no. 14-15, 1976, pp. 52-56.
- POTEL, JEAN-YVES. « Le prolétaire, sa vie, son œuvre. » Communications, vol. 55, 1992, pp. 109-121. doi:10.3406/comm.1992.1838.
- TER MINASSIAN, TALINE. « L’avenir dans les affiches soviétiques (1917-1921). » Matériaux pour l’histoire de notre temps, no. 21-22, 1990, pp. 56-61.
- VIOLLET, CATHERINE. « Germaine Tillion, Le Verfügbar aux Enfers. Une opérette à Ravensbrück. » Genesis, no. 27, 2006, pp. 185-187.
Thèse(s)
- TILMAN, TURPIN. Un passé présent ? : Mutations et transformations de la place du national-socialisme, du IIIe Reich et de l’Holocauste dans la mémoire collective et l’identité allemande de 1945 à 2000. Institut d’études politiques de Paris – Sciences Po, 2023.
Sitographie
- BISSCHOPS Michaël, “Le triangle rouge”, territoires-memoire.be, https://territoires-memoire.be/le-triangle-rouge/, Consulté le 9 novembre 2024.
- BOUEILH Dominique, “Comité International de Dachau”, comiteinternationaldachau.com, https://www.comiteinternationaldachau.com/fr/, Consulté le 4 novembre 2024.
- L, Hélène, “Le triangle figure symbolique choisie pour la réouverture du musée de la résistance et de la déportation.”, MaCommune.info, https://www.macommune.info/le-triangle-figure-symbolique-choisie-pour-la-reouverture-du-musee-de-la-resistance-et-de-la-deportation/, Consulté le 4 novembre 2024.
- LEFEVRE, Jonathan, “Le triangle rouge : les origines ouvrières d’un symbole antifasciste.”, Solidaire.org, https://www.solidaire.org/articles/triangle-rouge-les-origines-ouvrieres-d-un-symbole-antifasciste, Consulté le 2 novembre 2024.
- “Triangle rouge”, Centre d’Action Laique, YouTube.com, https://youtu.be/JtPzkvKD-IA, Consulté le 9 novembre 2024.
- MELENCHON, Jean-Luc, “Mélenchon : origine et signification du triangle rouge”, Pour la Sociale, Extrait d’une interview de la chaine Thinkerview, YouTube.com, https://youtu.be/leDELQSAAX8, Consulté le 9 novembre 2024.
- PLANTU Jean, “Plantu répond à Mélenchon”, Liberation.fr, https://www.liberation.fr/medias/2011/01/20/plantu-repond-a-melenchon_708733/, Consulté le 9 novembre 2024.